vendredi 31 décembre 2021

« Contagion » de François Bégaudeau, mise en scène de Pierre-Hugo Proriol

 


Comme la plupart des parents à l’égard de leurs enfants, on ne peut qu’être heureux lorsqu’on a la chance de remarquer que sa progéniture va bien, s’épanouit dans son travail. Ce qui est rare aujourd’hui. J’ai cette chance. J’avoue que lorsqu’il m’a annoncé son choix de métier, j’étais perplexe (le mot est indulgent envers moi-même). Être comédien était pour moi un sacré challenge. Fils de prolos, sans nom qui sonne bien aux portes artistiques, je voyais sombrement son avenir.  Aujourd’hui je le vois faire rire, pleurer et réfléchir. En tant que mère, je suis fière de lui bien sûr (comme beaucoup d’entre nous le ressentons pour nos enfants), c’est un être généreux dans sa vie.  En tant que femme j’éprouve beaucoup de respect envers cet homme, ses choix et ses créations artistiques.  Il joue la comédie comme son métier l’exige. Il aime offrir le rêve, il aime donner l’émotion. Mais également Il sait être engagé. Il n’oublie pas ses racines. Celles de la plupart d’entre nous. Celles qui suent pour émerger à l’air soi-disant libre.  A sa façon et grâce à son travail d’écriture et de mise en scène, il fait prendre conscience, il déterre. Sans jugement, avec discernement. Tel est le cas dans la pièce qu’il a créée « La guerre des neuf ans », tel est le cas aujourd’hui avec ‘Contagion » de François Bégaudeau. Côte à côte près de ce Monsieur qui lui a fait l’honneur d’assister à sa pièce, j’ai perçu la vraie intelligence. Celle qui ne se satisfait pas de l’étiquette « d’intellectuel », celle qui va vers l’autre, qui en a le souci. Celle qui veut transmettre sa connaissance sans se prétendre « sachant ». Juste un acte de générosité dans un but de justice entre les humains. Parce que la connaissance est le droit de chacun.

Pour partager ce moment de « Contagion » avec vous, j’ai écrit ces quelques mots.


« Contagion » de François Bégaudeau

Sacré challenge de mettre en scène l’écriture de celui qui parle des plus nombreux en dépeignant les autres. Celui qui décrypte les mécanismes de leur machine infernale.

 Pari gagné au Théâtre Karbone à Lyon avec « Contagion » de François Bégaudeau, mise en scène par Pierre-Hugo Proriol et un jeu exceptionnel des trois comédiens.

 

La mise en scène :

Comédiens, pieds cloîtrés par des formes géométriques parfaites, inviolables. Seuls les murs évoluent. D’abord tapissés de posters de héros, d’une mappe monde sur laquelle de ça et de là des post-it à la colle fugitive se déplacent, tombent. Stigmates de l’éveil éducatif ? Puis les murs rapetissent. Gros plan : la photo de la star journalistique, liberté de l’horizon médiatique ? Enfin les murs s’alignent, sagesse et connaissance du monde culturel ?

 Les écrans et le son envahissent l’espace restreint. Le son s’approprie la pensée. L’image traverse le corps par une mise en scène curieuse, originale.

Les comédiens :

Des face à face soigneusement choisis évoquant des générations différentes dans les sphères de la transmission de la connaissance, de l’information et de l’art. L’adolescent et son ancien professeur. Ce dernier qui sera face au journaliste et face à l’artiste. L’intrigue se manifeste à travers le professeur. Le sachant ne sait plus. Pourra-t-il « retrouver » une place dans la société ? A l’instar de son ancien élève, il cherche, il se cherche. Savoir ou Être ? La boucle sera-t-elle bouclée ? 

Des monologues où la pensée à son apogée, révèle une introspection fine, intense.

Les dialogues font boire le calice jusqu’à la lie, les monologues sont l’antidote. L’interprétation des comédiens renforce subtilement ces excès.

 

« Contagion » de François Bégaudeau vise les prémices de la décontamination en faisant appel à un questionnement, une remise en question, sans dénoncer. Chacun trouve sa réponse car enfin chacun comprend la fabrication de cet agent infectieux qui inocule la pensée, le comportement.

Cet univers viral pourrait être lourd, pathologique. Il n’en est rien. L’esthétique et l’humour par la mise en scène, le jeu des acteurs sont omniprésents. Emotions, sourires et rires.

La dérision ne serait-elle pas un des contre-poison de « contagion » ?

« Contagion » est un huis-clos d’ouvertures vers...


"Seul Mozart" de Jean-Hugues Larché




 "Seul Mozart" de Jean-Hugues Larché 

Jean-Hugues Larché a l’Art de parler de ces fruits qui nous éveillent. Ce jardin universel : l’Art.  Il sait le partager. Des orangeraies aux pépinières. De saveur en amertume. Les closeries valsent parmi chaque récolte sensuelle, émotive, intuitive, intellectuelle. On voit, on entend, on ressent les esquisses, les fresques de Jean-Hugues Larché. Son écriture est une promenade, un jardin de rencontres avec les œuvres. Il ne se contente pas de les dépeindre, les détailler pour raviver l’œil défraîchi, l’oreille bourdonnée.  Il les anime, leur donne vie. Comment ? Jean-Hugues Larché déterre chacun de leur créateur. Celui dont on connaît le nom. Celui du siècle ou de l’ère passés. Celui qui n’est plus un homme. Celui qui est une peinture, une musique, une figure sur la toile, les planches etc. Celui qui a perdu au fil du temps, au fil encensé son identité d’humain.  L’écrivain explique, souligne ce trait d’union entre le créateur et son oeuvre. On devine, on comprend alors l’évidence de ce lien. Indénouable.  Attache retrouvée par l’encre de cet artiste, cet écrivain dont le nom par ses œuvres ne s’effacera pas.

« Seul Mozart » est Vivant. Il analyse, rit, pleure, s’émeut, s’indigne, questionne. De Fragonard à Artaud, Chaplin, Picasso et bien d’autres, « La Flûte enchantée » accompagne en sourdine de la première lettre au point final. « Seul Mozart » rassemble une bande d’artistes talentueux, belle ossature à la chair tendre, cendres fertiles à une jeunesse éternelle.

M-Noëlle Fargier

jeudi 23 décembre 2021

"Garonne in absentia" de Jean-Michel Devésa

 

Je ferme « Garonne in absentia ». Elle va errer quelques jours voire plus sur la table du salon avant sa place définitive, classée par ordre alphabétique.  Les portes du château restent entrouvertes, les sphinx somnolent. Jean ivre de spleen, Mathilde sensuelle, Madame poussières d’étoiles, Anton, Bacab du désordre et Labrune tantôt embrumée de Garonne, tantôt irisée du Tulipier…Les fauves témoins du temps, de l’espace. Encre vagabonde. De la Gironde à l’Afrique jusqu’à l’Albanie, de couleurs en noirceurs. De vie, de mort à l’immortalité.

Je suis à Figueras, invitée chez Dali. Une femme regard froid, lèvres pulpeuses. Nul doute, elle est là. Oeil trompeur ou trompé ? Non. Simplement une autre approche. « Garonne in absentia » défie par ses perspectives, ses divagations, son errance, son statisme. Corps et esprits. Universellement. « Garonne in absentia » à l’instar du corps humain par son anatomie, ses appareils multiples, sa physiologie palpe la perfection avant la panne et le point mort. Jouissance-Ascèse.

Serait-ce les 100 yeux de Panoptès au plumage mordoré qui aurait insufflé ces mots riches, chahutant le lecteur de ses hétéroclites intuitions, émotions, ou discernements ?

« …la création rééquilibre l’arc des émotions et la morbidité de ceux dont l’existence n’en serait pas une sans cet investissement socialement superfétatoire… »


"Fascination-Effondrement" de Akakpo Séguédé

 



Si je devais donner un titre à l'oeuvre de Akakpo Séguédé, de ces mots écrits au crayon papier face à ces couleurs déchirantes et harmonieuses, je l’appellerais « Fascination-Effondrement ».

D’un volcan évoqué par le peintre, il m’apparaît de cette sphère parfaite, la terre avec ses continents qui se distinguent aux couleurs emmêlées presque solidaires. Et puis ses reliefs froissés où la seule envie humaine serait de les toucher. Comme chaque être le fait. Caresser de ses pieds nus les herbes folles, s’imprégner de l’écorce salvatrice. Défi poétique. C’est ainsi que m’envoûte cette bulle idéale, point central qui happe le regard terrien. Celui du chasseur-cueilleur. Avant la naissance du jettatore argentier.

Qu’à t-il fait de la terre ? Elle s’enveloppe d’une nébuleuse blanchâtre et noire dégoulinant dans ses profondeurs jusqu’à ses océans. Vert lumineux où ne subsiste qu’un miraculeux coquillage. La bave inocule les pigments rouges des croûtes terrestres. Noyau fossilisé.

La couche gazeuse saigne d’une palette empourprée. Fascination. Dans le bras d’Orion, la noirceur enfume le spectacle où jaillissent quelques éclats de l’astre. Jaune paradisiaque d’une sculpture haptique.

L’œuvre, telle la nature évolue constamment au gré de la lumière. L’artificielle l’apaise, l’autre l’avive.

« Volcan, Effondrement » Ces deux mots se rejoignent terriblement.