« Léonard ou les odonymes du cancer »de Philippe
Couillaud
lu par Marie-Noëlle Fargier
D’emblée
je dirais que je ne conseille pas ce livre aux dévoreurs, pressés d’atteindre
la fin pour aboutir au dénouement de l’intrigue.
« Léonard
ou les odonymes du cancer » se lit lentement, se savoure. Ce roman
épistolaire est truffé de figures de style dans une écriture paradoxalement
sans fioriture et d’une poésie viscérale. Chaque phrase, monologue, lettre est
un foisonnement de réflexions, de sensations, d’émotions avec seulement trois
personnages Léonard, Astrid et celui que je nommerais « le
messager ». Oui, il est l’interlude entre Léonard et Astrid. Au départ je
le soupçonne être l’auteur lui-même, un rêveur où chaque foulée le long de la
Garonne (personnage à elle seule) le relie à Léonard et Astrid.
- Te souviens-tu, fleuve de grand charroi, de nos jours de grande
parlotte ? J’étais ce personnage-là, jetant sur le monde extérieur un
regard absent, loin, très loin de ce qui semblait préoccuper les autres. Or les
autres se démenaient dans des combats terribles…
Mais
qui est-il ? La Garonne et son complice miment et préparent le lecteur aux
états d’âme et charnels de Léonard et Astrid, ces deux amants séparés par la
guerre d’Algérie. Astrid est enceinte. Philippe Couillaud sans pudeur et sans
vulgarité évoque par chaque lettre du couple le manque de l’un et de l’autre
autant sur le plan psychologique qu’intime. Comme si leurs appétits charnels
suivaient l’évolution de cet autre personnage « la guerre » !
Léonard
et Astrid ne sont pas un couple quelconque, l’un et l’autre s’interrogent,
paraissent rebelles. Leurs lettres sont une remise en question permanente. Ils
se confrontent, se réconfortent, se souviennent, se révoltent mais jamais ne se
soumettent. Vont-ils être contaminés et se fondre dans la masse sous le poids
des conditionnements ? Au début de la guerre, Léonard semble se complaire
dans son rôle de « guerrier » mais…
-
Vois-tu, mon Léonard aimé, désiré jusqu’aux tréfonds des exigences
du plaisir, je ne peux pactiser avec l’innommable. Je souffre de ton
éloignement, bien sûr. Mais cela n’est rien à côté de ce que j’endure à travers
ton adhésion à cette infamie.
Astrid
quant à elle cherche à s’éloigner de ce conflit… Va-t-elle garder cet
enfant ? Philippe Couillaud démontre l’impact de l’Histoire sur ce qui
devrait être intouchable : la conviction, l’individualité, la dignité…
« Léonard
ou les odonymes du cancer » ne se contente pas de dévoiler l’inavouable d’un
couple séparé, il décrit avec force les horreurs de cette guerre pour laquelle
les mots se taisent encore.
-La belle
guerre que voilà, ma chère Astrid ! Oh, la jolie guerre ! Une sacrée
garce avec laquelle les hommes convolent en justes noces de viande et de sang.
La chair contenue dans les retenues du sexe revient en force, sort de ses
gonds, étale au grand jour les miasmes de ses atomes dispersés. Une fois tenu
en laisse par la mort, le corps croit en sa possible rédemption. Il espère se
rédimer par le don du sang. Il ne peut que pourrir. La guerre pue. Je sens
mauvais. J’empeste. Je sue. La peur me colle à la peau dont tous les pores
expulsent à cadence forcée les relents de la chiasse.
J’imagine
ce livre entre les mains d’un professeur de lettres, un professeur d’histoire tel
un explorateur, avant de le transmettre aux jeunes générations afin que
« Léonard ou les odonymes du cancer » soit une lettre pour préserver la
paix ou tendre vers la Liberté.
Jean Louis Gillessen06/02/2018 22:01
christine06/02/2018 12:25
Marie-Noëlle FARGIER06/02/2018 09:32
C.-L. Desguin06/02/2018 06:47
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