vendredi 9 février 2018

"Le Camaret d'Achille" lu par Christian Eychloma

« Le Camaret d’Achille » de Marie-Noëlle Fargier
lu par Christian Eychloma







« Et pendant ce temps-là, Loire ignorante et douce,
Tu couleras toujours, passante accoutumée,
Dans la vallée heureuse où l’herbe vive pousse,
Ô Loire inépuisable et que j’avais aimée...
Loire qui ne sait rien de la souffrance humaine,
Ô Loire inaltérable et douce à toute enfance,
Ô toi qui ne sais pas l’émoi de la partance… »

Je devine votre réaction… Ces vers vous rappellent quelque chose mais avec un petit truc quelque part. Puis vous sursautez en réalisant qu’en remplaçant le nom du fleuve par le nom original (la Meuse), on retrouve bien un extrait d’un poème de Charles Péguy. Gagné !

En lisant « Le Camaret d’Achille », certains vers me sont en effet revenus en mémoire, car ils illustrent de façon si poétique le fait évident que, génération après génération, nous passons, alors que les paysages qui nous ont vu naître, grandir, aimer, mourir, demeurent par endroits presque inchangés.  Les « chibottes », par exemple…
On réalise que l’univers ne nous est ni bienveillant ni hostile, mais simplement indifférent. Et qu’il nous appartient par conséquent, à nous, humains, lors de notre court passage, de nous efforcer de créer du sens dans un monde qui, considéré de façon purement objective, en est dépourvu.  En commençant par nous respecter et nous aimer. Bon, ça s’appelle l’Humanisme.

Souvenons-nous un instant de « La Bukinê d’Anna ».
Sur les lieux-mêmes où s’érigeaient, il y a bien longtemps, la cité d’Hélios du  peuple sédentaire aux cheveux couleur de soleil et le campement précaire de la tribu nomade aux toisons couleur de nuit, Noëlle Fargier nous entraîne cette fois dans l’histoire d’une famille s’étalant sur une période incluant les deux dernières guerres.
Peut-être pour montrer que les siècles s’écoulent mais que l’espèce humaine ne change pas dans sa nature profonde, on retrouve les trois sœurs du premier roman avec leur nom comme unique changement. Trois personnalités identiques à ce qu’elles étaient trois mille ans auparavant, jetées dans le tourbillon d’une nouvelle vie, dans un autre temps, avec ses joies et ses peines. Et l’on ne peut tout d’un coup s’empêcher de se demander : « pourquoi moi, ici et maintenant ? Qu’aurais-je fait à cette époque, dans les mêmes circonstances ? »

L’histoire d’une famille, disais-je. Une histoire qui, observée depuis quelque distance, pourrait en rappeler beaucoup d’autres. La première guerre, d’abord. Vous savez : « la der des der » ! Entre les deux, les difficultés de la vie, et l’influence d’un clergé abusant de son pouvoir sur les âmes simples. Intolérant, exerçant sa tyrannie sur la population des campagnes, avec le terrible destin du jeune Achille. Et la seconde, dix-neuf ans après. Mobilisation, séparations, enfermement interminable des prisonniers de guerre, occupation, résistance, arrestations, tortures, libération, exactions perpétrées par les résistants « de la dernière heure »…

Une histoire humaine, trop humaine.


On n'écrit bien que sur les lieux que l'on connaît et ceux que nous connaissons le mieux et qui nous suivent toute notre vie, ce sont ceux de l'enfance.
Marie-Noëlle FARGIER09/02/2018 
Vos commentaires si bienveillants me touchent sincèrement. Je remercie particulièrement Christian d'avoir transmis poétiquement son ressenti sur le Camaret. Cet endroit magique par sa beauté et que j'affectionne particulièrement puisque ce lieu est l'endroit où j'ai grandi et qui m'a appris l'écoute, le regard, le silence, avec des grands-parents vivant avec une belle et rare philosophie. Je crois que cette chance a été, est et sera l'encre exprimée ou non, mais toujours présente en moi. comme un refuge. Merci.
Jean Louis Gillessen09/02/2018 
Un roman qui ressemble à la personnalité de l'auteure, certes humaniste. Récit et analyse de relations humaines en des époques différentes et troubles, mise en lumière historique, présence de Dame Nature, poésie et rigueur à la fois, tout s'y retrouve pour, comme dit Carine-laure, être transmis dans les mains des enfants. Bravo, Marie-Noëlle, et quelle belle fiche de lecture, Christian.
C.-L. Desguin09/02/2018 
Un texte qui reste ancré pour toujours, ce qui lui confère aussi un réel intérêt. Ah si tous les enfants pouvaient le lire...
Christina Previ(otto)09/02/2018 
Ce récit me semble plein de poésie et de sagesse... Intéressant sur le plan historique et humain, le tout au fil de la Loire.
Séverine Baaziz09/02/2018 
Tourbillon de la vie et grandiosité de la nature... Talent et poésie au rendez-vous...
Un roman très tentant :-)







mardi 6 février 2018

"Léonard ou les odonymes du cancer" de Philippe Couillaud, lu par Marie-Noëlle Fargier






« Léonard ou les odonymes du cancer »de Philippe Couillaud
lu par Marie-Noëlle Fargier

D’emblée je dirais que je ne conseille pas ce livre aux dévoreurs, pressés d’atteindre la fin pour aboutir au dénouement de l’intrigue.
« Léonard ou les odonymes du cancer » se lit lentement, se savoure. Ce roman épistolaire est truffé de figures de style dans une écriture paradoxalement sans fioriture et d’une poésie viscérale. Chaque phrase, monologue, lettre est un foisonnement de réflexions, de sensations, d’émotions avec seulement trois personnages Léonard, Astrid et celui que je nommerais « le messager ». Oui, il est l’interlude entre Léonard et Astrid. Au départ je le soupçonne être l’auteur lui-même, un rêveur où chaque foulée le long de la Garonne (personnage à elle seule) le relie à Léonard et Astrid.

- Te souviens-tu, fleuve de grand charroi, de nos jours de grande parlotte ? J’étais ce personnage-là, jetant sur le monde extérieur un regard absent, loin, très loin de ce qui semblait préoccuper les autres. Or les autres se démenaient dans des combats terribles…

Mais qui est-il ? La Garonne et son complice miment et préparent le lecteur aux états d’âme et charnels de Léonard et Astrid, ces deux amants séparés par la guerre d’Algérie. Astrid est enceinte. Philippe Couillaud sans pudeur et sans vulgarité évoque par chaque lettre du couple le manque de l’un et de l’autre autant sur le plan psychologique qu’intime. Comme si leurs appétits charnels suivaient l’évolution de cet autre personnage « la guerre » !
Léonard et Astrid ne sont pas un couple quelconque, l’un et l’autre s’interrogent, paraissent rebelles. Leurs lettres sont une remise en question permanente. Ils se confrontent, se réconfortent, se souviennent, se révoltent mais jamais ne se soumettent. Vont-ils être contaminés et se fondre dans la masse sous le poids des conditionnements ? Au début de la guerre, Léonard semble se complaire dans son rôle de « guerrier » mais…


-         Vois-tu, mon Léonard aimé, désiré jusqu’aux tréfonds des exigences du plaisir, je ne peux pactiser avec l’innommable. Je souffre de ton éloignement, bien sûr. Mais cela n’est rien à côté de ce que j’endure à travers ton adhésion à cette infamie.

Astrid quant à elle cherche à s’éloigner de ce conflit… Va-t-elle garder cet enfant ? Philippe Couillaud démontre l’impact de l’Histoire sur ce qui devrait être intouchable : la conviction, l’individualité, la dignité…
« Léonard ou les odonymes du cancer » ne se contente pas de dévoiler l’inavouable d’un couple séparé, il décrit avec force les horreurs de cette guerre pour laquelle les mots se taisent encore.

-La belle guerre que voilà, ma chère Astrid ! Oh, la jolie guerre ! Une sacrée garce avec laquelle les hommes convolent en justes noces de viande et de sang. La chair contenue dans les retenues du sexe revient en force, sort de ses gonds, étale au grand jour les miasmes de ses atomes dispersés. Une fois tenu en laisse par la mort, le corps croit en sa possible rédemption. Il espère se rédimer par le don du sang. Il ne peut que pourrir. La guerre pue. Je sens mauvais. J’empeste. Je sue. La peur me colle à la peau dont tous les pores expulsent à cadence forcée les relents de la chiasse.



J’imagine ce livre entre les mains d’un professeur de lettres, un professeur d’histoire tel un explorateur, avant de le transmettre aux jeunes générations afin que « Léonard ou les odonymes du cancer » soit une lettre pour préserver la paix ou tendre vers la Liberté. 


Jean Louis Gillessen06/02/2018 22:01
Séduit par ces extraits et l'analyse réalisée par M-N. Bravo Marie-Noëlle pour cette fiche de lecture. Oui, Christine, Carine-Laure, plusieurs thèmes universels sous une écriture précise qui traduit beaucoup d'émotions et d'authenticité. Félicitations et respect à Philippe Couillaud.
christine06/02/2018 12:25
Je suis d'accord avec toi ! Un livre qui doit être lu, c'est évident... Et une plume que j'adore... Mais Philippe est trop modeste... un auteur à découvrir si vous aimez un style impeccable, une écriture remplie d'émotions et de justesse !!!!
Marie-Noëlle FARGIER06/02/2018 09:32
Après avoir lu ce livre, je me suis dit "Il faut que je fasse une fiche de lecture, il faut que je partage mon ressenti, ce livre doit être lu !" 
Sauf que face à l'écriture de Philippe Couillaud, il me semblait prétentieux de trouver, d'écrire les mots à la hauteur de ce que j'avais lu. Puis, je me suis dit "Là, je suis lectrice et je me lance". 
Mes mots sont rustiques envers ce bijou, ils veulent simplement dire "Ne passez pas à côté de ce chef d'oeuvre" !
C.-L. Desguin06/02/2018 06:47
Ça sent lle besoin de transparence et la vérité, tout ça. Marie-Noëlle Fargier a très bien cerné le livre et ses petits extraits appâtent le lecteur, c'est certain.