Je me rencontre parfois grâce à
celui qui me connaît ; parce que je l’aime, il m’apprivoise. Il sait me
faire oublier cette mémoire qui défaille à mon appel. Il sait la faire taire.
Il m’habille de l’anamnèse du cueilleur, celle qui se fout du reste : des
souvenirs, ces reliquats qui vous font peut-être croire à un futur. Lui, il
s’en moque. Il n’est que le présent fluctuant par quelques rayons, quelques
coups de tonnerre. Il me réchauffe, je me délecte de ces gouttes fines ou
épaisses. Je creuse, je sème. Mains sales, je m’imprègne de son origine, mes
ongles ras se noircissent ; mes pieds s’encrottent. Je m’en contrefiche. Sa crasse est
voluptueuse, noble, pur. Mon chien me rejoint. De son appellation aristocrate,
il ne reste rien. Oripeaux de poils. Regard tendre, satisfait de sa condition.
Je déambule à travers les allées verdoyantes parsemées de pâquerettes, voisinant
avec les herbes folles ; je m’encense du parfum des roses anciennes ;
j’effleure les fleurs fidèles, nomades de chaque printemps, séductrices de
l’œil ; je me noie sous le feuillage du seigneur ancestral de ce lieu, touche
son écorce lénifiante. Ici je n’ai plus d’âge, ici je ne sais plus le jour ni
l’heure. Je m’en moque. Ici, avec lui, je suis moi. Il est mon jardin, il est
la terre. Il est les espèces vivantes, sans la folie et la bassesse humaine. Il
est ma chère solitude. Il est mon équilibre. Libre.
M-Noëlle Fargier