vendredi 20 novembre 2020

Je t'avais promis...

 

Je t’avais promis une vie paisible à toi le citadin, à l’abri de mes vieilles montagnes. Au coin de l’âtre, absorbés par les flammes dansantes incandescentes. Chaleur partagée au fil des pages de nos poètes, de nos penseurs. Notre encre allait déferler dans une mer bleue, calme et tranquille. Légitime sagesse de navigateurs avertis. Enfin nous pouvions Vivre !

C’était sans compter sur ce que nous sommes. C’était s’asphyxier dans le salon aux volets clos. C’était oublier les autres. Ne pas entendre les cris des démunis, des défavorisés, des oubliés. Ne pas voir la sarabande jaune pleurer, huée, blessée et meurtrie. C’était sans compter sur ce que nous sommes.

Nos plumes s’affûtent de mots dénonciateurs. Océan hautain et capricieux, naufrage des plus faibles.  La froidure de la rue au fil de nos vociférations. Vaisseaux thrombosés de coups de matraque. Œil crevé.

Le soir la cheminée crépite notre absolu désarroi, un jeune s’est immolé.

Puis, le printemps s’enhardit de l’enfermement humain. Le jardin ne se partage plus. L’homme pauvre est cloîtré dans ses murs.

Silence et soumission.

L’arrogant dédaigneux s’allie à l’entité biologique. Ils isolent les plus vulnérables, les ridés, les handicapés. Sens abolis.  Affects interdits. Seul le petit écran est permis. Il diffuse en boucle leur prochaine destinée.

Glissement et mort.

Dehors la nature attise l’audace, la maison est glaciale. On éteint le téléviseur.

Nos plumes se taisent. L’encre se fige.

Huxley et Orwell sortent de la bibliothèque. Dystopie et servitude s’imposent sur nos fauteuils.  Dehors on aperçoit les premiers signes de leur procréateur. Technologie hors pair, technologie inimaginable. Et le crabe sévit encore. Plus fort encore que l’entité nommée « Covid » numérotée, robot d’une fiction désuète. Tel un bolide, elle le met au fossé avec ses familles pathologiques. Science oblige. Ces négligés gonfleront le score de la fatale issue.

L’usine des gilets jaunes s’épuise, ferme ses portes. Trop de demandes. Plus de travailleurs pour les fabriquer. Licenciements à la pelle. Fibre indestructible, ancrée dans nos mémoires. Comme l’entité, elle a fait peur et pourtant…

Il n’y a plus de bois. Le jardin ne sait plus la saison.

Nous ne sommes pas résignés, la peur ne sera pas notre maître. Ce serait sans compter sur ce que nous sommes.

Nos plumes n’en finiront pas d’écrire. Nous survivrons !


Marie-Noëlle Fargier

mardi 3 novembre 2020

Lettre à mes petits-enfants

 





Fenêtres ouvertes d’un bleu parfait, pur, translucide. Irisé d’un seul vœu, découvrir pour vivre. Mes yeux se perdent dans les tiens. Bulles de champagne.

« Je te raconte mes premiers pas. Sur les pavés des rues de ma vieille ville. Les patins à roulettes glissant sur les trottoirs qui bousculaient les promeneurs grincheux. Les faux-pas dans les caniveaux. Nos bras ailés dans la venelle déserte, dévalée à toute allure. La veine poétique tambourinait un seul mot : liberté. Nos retrouvailles de gamins débraillés sur notre place où l’ancestrale fontaine nous désaltérait de son breuvage frais servis par deux dauphins. Nos éclaboussures de rires. Et nos escapades hors des murs de la cité. Nos explorations des grottes du Second Bassin. Le mange-disque sous ces roches primitives qui déraillait sur nos âges d’enfants tortillés de bonheur. Nos courses-poursuites au jardin public avec le gardien du lieu. Nous franchissions l’espace interdit, en quête de cachettes. Il nous courait après et finissait toujours par débusquer les réfractaires dans leur planque inviolable. Après un sermon autoritaire, il nous relâchait. Tête basse sous le képi officiel, il dissimulait un sourire avec comme certitude une prochaine partie de cache-cache.

Et puis, « le Camaret ». Les câlins interdits aux petits chevreaux. L’odeur qui me trahissait. Courir à toutes jambes à travers la sapinière après les audacieuses chèvres avides d’indépendance et crier à tue-tête « Vene, vene ! ». La sage cueillette des champignons à la fraîcheur teintée du lever du soleil. Fragrance aux senteurs originelles tatouées sur ma peau.  Les baptêmes païens dans le fleuve frisquet. Murs d’orgues basaltiques, toit tuilé de parcelles de ciel. Je m’emprisonnais de sensations sauvages.

 

Tu m’écoutes, les yeux agrandis de surprise. Je ne te raconte pas une histoire, je te parle de mon enfance. Ce n’est pas un conte. Je comprends ton étonnement. Sous le regard constant des grands, tu ne sais pas que tu as le droit d’exister librement. Tu penses qu’il y a trop de dangers dans ton monde. Que la terre est un piège avec ses bois, ses rivières « baignades interdites », ses sources « interdiction de boire ». Si on ne se soumet pas à ces injonctions, c’est « à vos risques et périls ». Et puis il y a les hommes ou femmes en képi qui sanctionnent. Tu vis avec une surveillance constante mon p’tit bout. Protection sans faille, panoplie de protection de la tête au pied. Peux-tu encore tomber ? Et aujourd’hui on te bâillonne, on t’interdit de toucher. « Danger Virus ». C’est vrai il est bien là. Il n’est pas le premier. Il traverse la vie des êtres humains depuis si longtemps et reviendra encore et encore. La différence est qu’il y a peu de temps encore on l’appelait « fatalité » car on savait qu’on devait mourir. Aujourd’hui la peur est le chef d’orchestre. Le mange disque instrumentalise en boucle « la marche funèbre ». Il faut se sentir protégé de tout, y compris de la fin inéluctable.   On est persuadé qu’en suivant chaque règle, on sera indestructible. Ce n’est pas vrai mon p’tit bout. Et pourtant la plupart d’entre nous en sommes persuadés et n’hésitons pas à défier celle qui nous accueille, la terre. On la néglige, on la souille, on l’empoisonne. Là pas de souci, on peut continuer sans hommes ou femmes en képi, sous le couvert des autorités.  Le vrai danger est là mon p’tit bout. Lui manquer de respect entraînera l’extinction de l’humain. Ce sera alors l’apparition « du masque rouge ». Peur légitime.

Si tu savais mon p’tit bout comme il est bon de courir si vite qu’on croirait voler. Si tu savais mon p’tit bout comme il est bon de vivre la terre avec sa faune, sa flore, ses rivières claires, son air pur. Et comme ils étaient beaux ces hommes ou femmes qui souriaient sous leur képi protecteur.  Si tu savais mon p’tit bout comme il est bon de ne pas avoir peur.

Alors, mon p’tit bout, je mets entre parenthèses notre aujourd’hui pour t’apprendre mon hier. »

Marie-Noëlle Fargier