mardi 14 janvier 2020

Le Tambouyé


Jour de manif

Quelques souliers, des bottines, beaucoup de godillots écrasent les pavés rutilants au rythme des tambourineurs ou tambouyés. Les gargouilles des façades liftées se dérident. A leurs pieds, des denrées aux palais fins, des panoplies luxueuses, fantaisies et design de l’ère vitale. Les euros flambent. Les quelques souliers les ignorent, les bottines les snobent, les godillots ahuris des chiffres décrottés freinent leur allure.

Les bâtons frappent la tôle des barriques.  Percussion fabriquée des pauvres.  Rien de bidon. Volonté et fierté. Derrière le son, des pieds nus marchent dans la même direction. Humanisme. Justice. Un son salutaire pénètre le vide des intérieurs vétustes pour la plupart, habités par les démunis. Seules les façades et leurs panards de marque importent. Les gargouilles exultent « au diable ! ». Elles se font l’écho de plus en plus fort du timbre supplicié, guerrier. Sa plainte, son cri exhortent les voix solidaires, inconnues au bataillon. Complainte ancestrale et lointaine. Fûts en bois, métal et bâtons pour taper. Bois pour implorer l’aide des ancêtres   bâtons pour ne plus être frappés. Peau noire, siècles d’esclavage, le tambouyé résiste.  Peau blanche déshéritée, siècles de servitude, le tambouyé renaît. Même cause – même effet. Argent/domination/capitalisme – Misère/châtiment/destruction.

La quête inlassable à la richesse des persécutants, saigne l’homme sage, humble noir ou blanc, éventre et sacrifie sa terre. Du tambour bèlè à la caisse insolite, le tambouyé psalmodie la souffrance, cadence l’unité, carillonne les consciences. Celles de l’opprimé, du démuni, du manipulé. Les bâtons du tambouyé écrabouillent la peur.  Il coupe le sifflet au fouet, aux balles. De son roulement il remembre les mutilés, condamne à mort les exécutions, sans pas de l’oie. Il lance la générale face aux derniers soupirs de son alliée, la terre, ruinée par les caprices des argenteux.

Tambour humble, fait de bois ou métal, souvent inventé par des mains crevassées. Son tambouyé, lui, ne porte pas les gants blancs militaires. Ses battements scandent la liberté, l’égalité moyennant la blessure ou la mort. Champ de bataille. Son centurion orchestre la conquête de sa dignité.

Percussion sacrée de Gaïa à ses Êtres.

Marie-Noëlle Fargier

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