"Dans son regard aux lèvres rouges" d'Yves Charnet
Je tourne la
dernière page de ce livre puis reviens à la première de couverture. Geste
automatique d’un livre terminé pour lequel on désirerait ne pas l’avoir encore
lu. Retrouver le questionnement à la lecture du titre pour savoir s’il va
combler votre attente. « Dans son regard aux lèvres rouges ». A cette
fin de lecture, le titre est par chacun de ses mots une évidence.
J’ai toujours un peu
de mal à lire les autobiographies ou autofictions. Comme une intrusion. Un
regard se devant « d’analyser » les méandres d’un esprit tortueux (le
plus souvent). Dès la première phrase
cette crainte vole en éclats. Scène érotique.
Dans cette chambre
d’hôtel il n’y a pas de psyché, seulement une femme et un homme sans reflet.
D’emblée je constate
que l’auteur n’est pas embarrassé d’une quelconque pudeur bourgeoise ou
religieuse. Le ton est donné. Pas de faux-semblant. « …aux lèvres
rouges ». Yves Charnet joue avec le réel, le plaisir puis le rêve et le
désir. Son écriture le lui permet. Elle se veut simple. On pourrait dire
« bien du terroir » s’il s’agissait d’adopter un tel vocabulaire
concernant le sexe. Cependant l’auteur
l’affine d’une envolée d’images, de métaphores qui rend la lecture fine,
subtile. Un journal intime d’actes, de ressentis, de réflexions, de
références. Un huis-clos avec deux
personnages. Et quels personnages ! Lui en quête d’un grand amour ?
Elle, mariée. Histoire d’adultère ? Ce serait trop réducteur.
Elle, décrite par
l’auteur qui dessine de ses mots son corps, son visage avec sensualité,
érotisme à travers leurs ébats. Son élégance séduisante ou séductrice. Elle qui
ne s’exprime qu’à travers des allusions taciturnes de sa vie de famille, son mari,
« ses gamines ». Monotonie
bourgeoise ? Qui est-elle ?
Lui dévoile son
plaisir grâce à ce corps féminin. Il fait d’elle sa muse, elle s’en réjouit. Il
vit dans l’attente de cette femme et de leurs rencontres denses et brèves.
« ma mouette ».
Eux s’abreuvent de
plaisir. Tous leurs sens en alerte. Ils se goinfrent d’amour. Ils se délectent
de mets les plus fins, de vins les plus capiteux dans des décors princiers, vertigineux.
Passionné d’Art, il l’entraîne dans les galeries, les théâtres. Elle « en
bientôt quarante ans…ne s’était jamais rendue à un tel truc culturel ».
L’auteur ne se
satisfait pas du plaisir charnel. Il lui transmet ce qu’il a de plus cher. « Elle
était devenue brusquement autre chose qu’une conquête de passage ».
« Dans son
regard aux lèvres rouges » est bouleversant d’évocations de souvenirs
entrelacées de pensées, de questionnements, de ressentis face à la rupture, la
perte de cette femme.
La psyché brise le
miroir. Le titre se scinde en deux. Les lèvres rouges fondent. Il ne reste que
« dans un regard ».
Je me pose la question
à savoir s’il s’agit du regard d’Yves ou de Romy. Je pencherais pour celui d’Yves qui dès le
début du livre nous retrace ces moments partagés qui se veulent exceptionnels. Je
retiens surtout la sensibilité de cet homme. La fin d’une petite mort. Le début
d’une vraie. Ses questionnements avec les références citées sonnent comme un
préambule. La perte d’un être façonné par l’auteur lui-même ou la perte d’un
amour victime des préjugés, des soi-disant valeurs de notre société ?
Quoi qu’il en soit
ce livre parfois chaotique, brutal, excessif, frénétique par sa déchronologie,
son ton, son rythme, ses mots, témoigne de cet état qu’un être humain subit et
vit lors de la perte d’un être cher. « Dans son regard aux lèvres
rouges » est teinté d’une poésie aux couleurs de l’aura.
Comme j’ai apprécié les « nobles »
références, j’ai aimé celles du peuple avec Lama, Nougaro etc... Signes de
clairvoyance et d’intelligence de l’auteur.
« Un éclectique
est un navire qui voudrait marcher avec quatre vents » Charles Baudelaire.
Le souffle de ce livre bouleverse le lecteur.