mardi 3 décembre 2019

"Dans son regard aux lèvres rouges" d'Yves Charnet


"Dans son regard aux lèvres rouges" d'Yves Charnet

Je tourne la dernière page de ce livre puis reviens à la première de couverture. Geste automatique d’un livre terminé pour lequel on désirerait ne pas l’avoir encore lu. Retrouver le questionnement à la lecture du titre pour savoir s’il va combler votre attente. « Dans son regard aux lèvres rouges ». A cette fin de lecture, le titre est par chacun de ses mots une évidence.

J’ai toujours un peu de mal à lire les autobiographies ou autofictions. Comme une intrusion. Un regard se devant « d’analyser » les méandres d’un esprit tortueux (le plus souvent).  Dès la première phrase cette crainte vole en éclats. Scène érotique.
Dans cette chambre d’hôtel il n’y a pas de psyché, seulement une femme et un homme sans reflet.

D’emblée je constate que l’auteur n’est pas embarrassé d’une quelconque pudeur bourgeoise ou religieuse. Le ton est donné. Pas de faux-semblant. « …aux lèvres rouges ». Yves Charnet joue avec le réel, le plaisir puis le rêve et le désir. Son écriture le lui permet. Elle se veut simple. On pourrait dire « bien du terroir » s’il s’agissait d’adopter un tel vocabulaire concernant le sexe.  Cependant l’auteur l’affine d’une envolée d’images, de métaphores qui rend la lecture fine, subtile. Un journal intime d’actes, de ressentis, de réflexions, de références.  Un huis-clos avec deux personnages. Et quels personnages ! Lui en quête d’un grand amour ? Elle, mariée. Histoire d’adultère ? Ce serait trop réducteur. 

Elle, décrite par l’auteur qui dessine de ses mots son corps, son visage avec sensualité, érotisme à travers leurs ébats. Son élégance séduisante ou séductrice. Elle qui ne s’exprime qu’à travers des allusions taciturnes de sa vie de famille, son mari, « ses gamines ».  Monotonie bourgeoise ? Qui est-elle ?

Lui dévoile son plaisir grâce à ce corps féminin. Il fait d’elle sa muse, elle s’en réjouit. Il vit dans l’attente de cette femme et de leurs rencontres denses et brèves. « ma mouette ».

Eux s’abreuvent de plaisir. Tous leurs sens en alerte. Ils se goinfrent d’amour. Ils se délectent de mets les plus fins, de vins les plus capiteux dans des décors princiers, vertigineux. Passionné d’Art, il l’entraîne dans les galeries, les théâtres. Elle « en bientôt quarante ans…ne s’était jamais rendue à un tel truc culturel ».

L’auteur ne se satisfait pas du plaisir charnel. Il lui transmet ce qu’il a de plus cher. « Elle était devenue brusquement autre chose qu’une conquête de passage ».

« Dans son regard aux lèvres rouges » est bouleversant d’évocations de souvenirs entrelacées de pensées, de questionnements, de ressentis face à la rupture, la perte de cette femme.
La psyché brise le miroir. Le titre se scinde en deux. Les lèvres rouges fondent. Il ne reste que « dans un regard ».

Je me pose la question à savoir s’il s’agit du regard d’Yves ou de Romy.  Je pencherais pour celui d’Yves qui dès le début du livre nous retrace ces moments partagés qui se veulent exceptionnels. Je retiens surtout la sensibilité de cet homme. La fin d’une petite mort. Le début d’une vraie. Ses questionnements avec les références citées sonnent comme un préambule. La perte d’un être façonné par l’auteur lui-même ou la perte d’un amour victime des préjugés, des soi-disant valeurs de notre société ?


Quoi qu’il en soit ce livre parfois chaotique, brutal, excessif, frénétique par sa déchronologie, son ton, son rythme, ses mots, témoigne de cet état qu’un être humain subit et vit lors de la perte d’un être cher. « Dans son regard aux lèvres rouges » est teinté d’une poésie aux couleurs de l’aura.

 Comme j’ai apprécié les « nobles » références, j’ai aimé celles du peuple avec Lama, Nougaro etc... Signes de clairvoyance et d’intelligence de l’auteur.

« Un éclectique est un navire qui voudrait marcher avec quatre vents » Charles Baudelaire. 

Le souffle de ce livre bouleverse le lecteur.  


dimanche 1 décembre 2019

"Aime-moi" de Brigitte Giraud



« Aime-moi » de Brigitte Giraud

Je suis devant un tableau aux lignes imprécises, touches monochromes. Pas de segments rationnels.
En tête à tête avec un chef d’œuvre abstrait. Une invitation curieuse qui navigue entre désir et espoir par des entrelacements de mots et d’images sublimes.

Cet espace m’absorbe. Les lignes s’écrivent d’un corps. Le temps s’en mêle. La peau s’en porte témoin. Fusion.

Le temps, les éléments, les êtres s’insinuent dans cet univers. Il n’est pas chaotique. Il y règne un ordre certain. Une quête d’absolu. Le spleen étreint l’enchantement.

Le froid et la chaleur se côtoient de poème en poème avec une élégance, une délicatesse et une attention extrêmes et sensuelles. Les images en noir et blanc épousent cette harmonie.

J’avance page à page. Je me sens parfois comme une intruse, spectatrice de cette intimité pudique, ingénieusement dévoilée par des métaphores et si profonde que chaque être animal ou végétal et même la matière se personnifient.  Ils s’accordent à cette attente. Vivent. S’agrègent à lui, à elle.

« Aime-moi » Des mots noirs et blancs, une voix, une lampe. Couleur, son et lumière éblouissent chaque mot de cette remarquable poésie.