lundi 8 juillet 2019

Pinocchio



Serrés les uns contre les autres, ils étouffaient ; les épaules écartelées par des cintres de fer, sclérosés, ils se taisaient. Une obscurité totale régnait dans la penderie de la maison du maître. Sans faux pli ni faux col, ils attendaient au mieux le Secours Populaire au pire la déchetterie !

Enfin, un jour ils entrevirent un filet de lumière. L’oiseau messager fit coulisser la porte et les invita à sortir tous ensemble dans la rue. Les gilets se décadenassèrent, les cœurs palpitèrent ! Chacun retrouva sa couleur primaire sous le soleil automnal. Il prit la liberté de se teinter de mots, de dessins dénonçant ses conditions de vie dans ce placard. Phénomène incroyable, chaque dressing s’écroula ; les gilets sortaient et dansaient sur le pavé. Plus ils espéraient, plus ils se coloraient. 

La maison-mère ne supporta pas ce chaos, cette pigmentation audacieuse qui pouvait devenir un mélanome pour ses fondations. Sans hésiter elle les atomisa à coup de gaz toxiques. Des traces rouges s’incrustèrent sur les poitrines sans manches. Quelques-uns s’effilochèrent. Certains rebroussèrent chemin jusqu'à leurs placards afin de moisir, avant la benne. D'autres cicatrisèrent et affrontèrent le feu de l’été. 

Le gilet cramoisi résista ou s’oublia. Puis prit l’allure de têtes pensives munies de bras, jambes toniques et libres s’acheminant inlassablement vers une maison sans toit ni fenêtre ni placard.

Dans les vestiges d’un coin de penderie, Pinocchio est assis. Jiminy, le petit grillon vêt la marionnette d’un gilet jaune. Pinocchio prend vie…La fée bleue les regarde.


Marie-Noëlle Fargier



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