J’ai écrit ce texte il y a quatre ans. C’est à cette
période que J’ai eu la chance de rencontrer ce grand garçon de 16 ans. Il me
dépassait hautement. Pas de dialogue possible. Seuls ses yeux et son large
sourire et quelques mots appris « bonjour », « merci » nous permettaient
d’échanger. Cela suffisait. Son sourire quasi permanent était démenti par son
regard chargé de gravité, de tristesse, de peur. Un regard qui n’appartenait
pas à son âge. Le regard d’un être qui sait de quoi l’homme est capable. Le regard
de ceux qui ont traversé le pire sous l’impact de la main humaine.
Il y avait un jardin avec un noyer où il aimait se
réfugier, « propriété » de cette femme blanche que je suis. Celle qui voulait
lui prouver qu’il existe autre chose que la guerre, la douleur, la maltraitance
et que l’être humain est capable de se montrer généreux simplement parce qu’il
sait que rien ne lui appartient. Que tout est éphémère. Seul le hasard décide
de là où on naît. Bien-né, mal-né. Avec ses 16 ans, il savait, il avait vécu
l’insoupçonnable pour la bien-née que je suis. Je croyais mes yeux ouverts et
j’étais aveugle.
Puis il a encore grandi. C’est avec une extrême pudeur
et dignité que ses mots ont surgi parfois, tels des morceaux de puzzle,
sûrement pour ne pas abîmer cette naïve croyance que je vouais à l’humain, pour
ne pas m’abîmer. A l’instar de ce qu’il avait subi du système, de la hiérarchie
dominante crée par l’espèce humaine. Supplices contemporains. Je le regardais
sur cette balançoire accrochée au noyer. Bercement. Son regard alors
s’éclairait de son âge. Un instant. Le mien se décadenassait.
Aujourd’hui je suis de plus en plus petite que lui.
Nous partageons un regard serein tant que ses pieds foulent cette terre qui
n’appartient à personne. Simplement parce qu’il a enfin le droit de vivre.
« Les pieds en l’air, la tête en arrière »
Il fait de son ombre une caverne feuillue
Son bras noueux et fort tolère un siège incongru
La première rose des vents
Le berce du balancier du temps
Cric crac, cric crac…
Murmure l’hôte, sans ardeur
La charmille, quant à elle, attend le promeneur
Enfin, il s’invite, s’assoit et, doucement, dodeline
Dans l’antre de verdure
L’amnios le câline
Un coup de pied sur la terre
Il vole les pieds en l’air, la tête en arrière
S’élance au plus près des hautes ramures
Défie le soleil et sa brûlure
Même l’astre, ne force pas cette armure !
Il se moque de l’univers
Et de ses inexorables vers…
Il vole les pieds en l’air, la tête en arrière
Il reconnaît cet être extraordinaire
Muni de ses larges limbes foliaires
Qui capturent ses peurs du Tyran
Lui redonnent ses rêves d’enfant !
Puis, ses pieds patinent sur l’herbe millénaire
Le sablier s’évide
Des derniers grains morbides
Il admire cet être centenaire
Et… descend de la balançoire
Remercie du toucher l’écorce d’espoir
Il rit…
Les pieds sur terre, la tête en l’air.
En soutien à Madama et tous ces jeunes qui n’ont pas
connu l’enfance parce que leur berceau les balance vers la souffrance et la
mort.