vendredi 2 avril 2021

J’ai écrit ce texte il y a quatre ans. C’est à cette période que J’ai eu la chance de rencontrer ce grand garçon de 16 ans. Il me dépassait hautement. Pas de dialogue possible. Seuls ses yeux et son large sourire et quelques mots appris « bonjour », « merci » nous permettaient d’échanger. Cela suffisait. Son sourire quasi permanent était démenti par son regard chargé de gravité, de tristesse, de peur. Un regard qui n’appartenait pas à son âge. Le regard d’un être qui sait de quoi l’homme est capable. Le regard de ceux qui ont traversé le pire sous l’impact de la main humaine.

 

Il y avait un jardin avec un noyer où il aimait se réfugier, « propriété » de cette femme blanche que je suis. Celle qui voulait lui prouver qu’il existe autre chose que la guerre, la douleur, la maltraitance et que l’être humain est capable de se montrer généreux simplement parce qu’il sait que rien ne lui appartient. Que tout est éphémère. Seul le hasard décide de là où on naît. Bien-né, mal-né. Avec ses 16 ans, il savait, il avait vécu l’insoupçonnable pour la bien-née que je suis. Je croyais mes yeux ouverts et j’étais aveugle.

 

Puis il a encore grandi. C’est avec une extrême pudeur et dignité que ses mots ont surgi parfois, tels des morceaux de puzzle, sûrement pour ne pas abîmer cette naïve croyance que je vouais à l’humain, pour ne pas m’abîmer. A l’instar de ce qu’il avait subi du système, de la hiérarchie dominante crée par l’espèce humaine. Supplices contemporains. Je le regardais sur cette balançoire accrochée au noyer. Bercement. Son regard alors s’éclairait de son âge. Un instant. Le mien se décadenassait.

 

Aujourd’hui je suis de plus en plus petite que lui. Nous partageons un regard serein tant que ses pieds foulent cette terre qui n’appartient à personne. Simplement parce qu’il a enfin le droit de vivre.

 

« Les pieds en l’air, la tête en arrière »

 

Il fait de son ombre une caverne feuillue

Son bras noueux et fort tolère un siège incongru

La première rose des vents

Le berce du balancier du temps

Cric crac, cric crac…

Murmure l’hôte, sans ardeur

La charmille, quant à elle, attend le promeneur

Enfin, il s’invite, s’assoit et, doucement, dodeline

Dans l’antre de verdure

L’amnios le câline

Un coup de pied sur la terre

Il vole les pieds en l’air, la tête en arrière

S’élance au plus près des hautes ramures

Défie le soleil et sa brûlure

Même l’astre, ne force pas cette armure !

Il se moque de l’univers

Et de ses inexorables vers…

Il vole les pieds en l’air, la tête en arrière

Il reconnaît cet être extraordinaire

Muni de ses larges limbes foliaires

Qui capturent ses peurs du Tyran

Lui redonnent ses rêves d’enfant !

Puis, ses pieds patinent sur l’herbe millénaire

Le sablier s’évide

Des derniers grains morbides

Il admire cet être centenaire

Et… descend de la balançoire

Remercie du toucher l’écorce d’espoir

Il rit…

Les pieds sur terre, la tête en l’air.

 

En soutien à Madama et tous ces jeunes qui n’ont pas connu l’enfance parce que leur berceau les balance vers la souffrance et la mort.