samedi 8 février 2020

Souvenez-vous de ces petits noms...



Souvenez-vous de ces petits noms donnés, une abréviation d’un prénom trop long, le surnom familier qui navigue de génération en génération, de village en village. Un petit nom qui se finit souvent par « ou » ou « o » ou « i » etc… Ces petits noms si tendres n’appartiennent pas à toutes les classes. Ils sont le privilège des classes populaires. Ils reflètent une appartenance à une terre humble. Qui n’a pas entendu le nouveau-né « Henri » se faire appeler « Riri ». Ecoutez les crier les « Gillou », « Jeannot », «Fifi », « Kiki », « Jojo », « Nini »…. !  Ils ne recherchent pas une identité unique, ils se confondent d’une volonté soudée, solidaire. Une affection commune. Ils se font souvent précéder d’un « mon » ou « ma ». Possessif sans possession. Appartenance affective. Je vous assure dans les classes dites supérieures, il n’en est rien ! Ce serait ridicule, grotesque ! « Jojo le gilet jaune… » Malgré leurs prénoms longs voire composés, surcomposés (non je ne rajoute pas décomposés), ils ne décapitent aucune syllabe. Chacune d’elle est tranchée par une prononciation distincte, appuyée, soulignée d’un accent qui différencie le « o » du « au ».  D’ailleurs le même accent est adopté à tous les prénoms avec une intonation particulière que je qualifierai de « pointue ». Accent littéraire ? Non. Accent marbrier. Froid. Un besoin inévitable d’être unique, inégalable !

Pour être sincère, il faut bien reconnaître que nous aussi, gens du peuple n’hésitons pas dans nos campagnes à préserver l’intégralité de nos prénoms comme les grands de ce monde. Je m’explique. N’ayant ni descendance noble ni argent, l’accès à la particule prise en sandwich entre le prénom et le nom des bien-nés nous est inaccessible.  Le peuple toujours ingénieux apporte à chaque membre de sa communauté un brin de dignité et de reconnaissance et fait précéder le prénom d’un « le » ou « la », pronom défini, et s’est approprié la particule princière. Qui ne souvient pas de « la Marie de… ».

Sur cette note humoristique, il faut bien réaliser que les premiers noms attribués au nouveau-né crient déjà la différence trimbalée toute une vie. Cependant il arrive qu’un Jeannot ou un Bébert se fasse un nom comme on le dit si bien. Rareté d’un bienveillant hasard. Une rencontre. Comme ce fut le cas pour Camus. Ce nom qui est même devenu un adjectif « Camusien ». Aurait-il existé sans la persévérance de cet instituteur qui a offert à Albert la possibilité d’asseoir ses modestes fesses sur les bancs prestigieux de l’école ? Non, il serait resté dans les méandres de l’intelligence interdite, perdu à jamais. Certains chanceux profitent de ce nom fabriqué de leurs mains ou de leur sueur pour mettre en lumière les noms oubliés. D’autres les laissent dans l’ombre, les enterrent au plus profond en coupant leurs racines. Souche vivace, elle résiste ou revient en force à la moindre faiblesse (un accent retrouvé, une syllabe mal prononcée…). Les bien-nés sont intransigeants.

Le nom reconnu, « estampillé » s’étale au grand jour, brille de mille feux. Les noms rétrécis ne peuvent qu’incliner la tête ou partir en courant. Laisser la place. Noms et corps étêtés.  Justifié ? Pas toujours. J’ai pu voir mon prénom bien long et composé (par hasard) associé à mon nom très courant (comme on dit) sur une couverture de livre. J’étais en dédicace. Je vois une dame qui cherche à me parler, elle s’approche, s’éloigne puis revient. Je me permets de l’aborder. Elle me dit « Je voudrais un de vos livres mais je suis intimidée par les auteurs ». Cette remarque me blesse. L’égo de ma classe sociale en prend un coup. Eh oui, nous en avons un nous aussi ! Pourquoi ne me reconnait-elle pas ? Je m’empresse de lui dire que je suis comme elle, et surtout pas différente voire supérieure parce que j’écris quelques pages.  Je rajoute :

 « Mon livre me (et nous) ressemble, mes mots n’obéissent pas à la loi de la syntaxe enseignée sur les gradins d’un amphithéâtre (les grands noms me le rappellent). Je n’ai pas été invitée. Savez-vous, Madame, que je n’ai jamais écrit de mots aussi beaux que ceux entendus chez nous. Je parle de ces petits noms où réside tout le sens de la vie parce qu’ils vous reconnaissent en tant qu’être humain. Ces petits noms qui répètent l’amour qui vous est porté.  Ces petits noms qui vous disent que vous n’oublierez jamais votre origine vraie, sincère, humaine, fière et dénuée de solitude. Ils n’ont pas besoin d’être suivis de noms plus ou moins renommés, et encore moins de s’isoler par quelque particule. Ils se suffisent à eux-mêmes. Ils existent sans généalogie pompeuse de l’arbre feuillu d’or. Ils se transmettent naturellement et ne se perdent jamais. Leur arbre se contente de racines sauvages et philanthropes. 
Chez moi on m’appelle « Nono ». J’y entends toute la douceur, la reconnaissance de mes racines. J’appartiens à cette terre ou à ce terroir de mains ridées, abîmées et sages. Je garde mon accent. Mes mots sentent son parfum, ils chantent (je l’ai entendu dire) la poésie. Celle des gens humbles. Je suis honorée, Madame, que vous m’accordiez votre lecture. »

Marie-Noëlle Fargier